Découvrez l’interview de Jean Perrot et Fabrice Mosneron Dupin, passionnés et propriétaires de marais à Jard-sur-Mer et Talmont-Saint-Hilaire.

Ils nous partagent leur engagement pour préserver et valoriser ces espaces naturels uniques, entre richesses écologiques et traditions locales. Plongez dans l’histoire de ces marais, où biodiversité et savoir-faire ancestral se rencontrent au cœur du territoire.

Interview réalisé par Fabienne Moisan, pour le magazine Envolées 2024 en Vendée Grand Littoral

Photographe : Edouard Nicoleau

Le marais de l’un est à Jard-sur-Mer, son fief de toujours. Celui de l’autre, du côté du Veillon. Bercés depuis leur tendre enfance par les ondes telluriques des marais du Payré, Jean Perrot et Fabrice Mosneron Dupin en sont aujourd’hui les vibrants défenseurs au sein de leur association. Voyage en terres fragiles, si belles, avec deux émissaires de choix, altruistes et généreux.

Les marais du Payré couvrent 850 hectares entre leur embouchure au port de la Guittière jusqu’ici, à 3 km du bourg de Jard-sur-Mer. À qui appartiennent-ils ?

Fabrice Mosneron Dupin : Nous sommes 480 propriétaires de parcelles en eau et en terre, particulièrement hétéroclites puisque certains possèdent 20 hectares quand d’autres n’ont que 30m² ! Ce sont pour beaucoup des héritages familiaux, même si l’on peut toujours acquérir du marais aujourd’hui, entre deux et trois changent de mains environ par an.

Jean Perrot : Le marais est viscéralement lié à ma famille. Ce sont les moines de l’abbaye Notre-Dame de Lieu Dieu de Jard-sur-Mer qui avaient organisé le curage des marais pour assainir le marécage et s’octroyer le poisson, bar, daurade, mulet, anguilles.
Ils avaient doté les paysans de lopins de terre sur les bossis* pour qu’ils puissent les cultiver. À la Révolution, les paysans ont acquis la propriété des bossis mais les cordes* sont restées la possession de propriétaires et notables, dissociant terre et eau. Les droits de passage sont légion ! Quelques marais salants subsistent, du côté de la Guittière où des artisans produisent encore le sel local.

L’Association pour la défense des marais du Payré, que vous présidez Fabrice, compte 130 adhérents et se montre très active pour préserver cet espace naturel. Quels sont les enjeux ?

Fabrice Mosneron Dupin : Ils sont multiples. Notre premier enjeu est d’assurer ensemble l’entretien et la préservation de ce territoire si particulier et de sa biodiversité. Cela passe par la transmission des savoir-faire et des traditions, de génération en génération. Le marais, c’est un héritage merveilleux mais extrêmement engageant. Tous les anciens, comme Jean, nous montrent la voie, et il est primordial de recueillir leur parole pour le futur, ce que nous avons fait avec l’association.
Ce patrimoine exige aussi une restauration spécifique, à l’image des essailles*, ces écluses de pierre qui permettent de renouveler l’eau – “faire boire le marais”- et d’en réguler les niveaux. Sans elles, le marais disparaît. L’association participe à leur rénovation dans les règles de l’art, aux côtés de Natura 2000 et le soutien sans faille de la communauté de communes Vendée Grand Littoral. Le réchauffement climatique nous impacte aussi, avec l’arrivée d’algues invasives et la montée des eaux. Nous sommes à un tournant majeur, raison pour laquelle nous souhaitons rallier l’ensemble des propriétaires à notre dynamique, en changeant de statut vers une association syndicale autorisée qui nous permettra de prendre en charge, tous ensemble, l’entretien de ce superbe territoire.

Pour admirer le marais

Rendez-vous à l’observatoire de la rue des Amourettes à Jard-sur-Mer. Le sentier avec vue imprenable sur les bossis et les cordes s’agrémente d’un parcours d’interprétation de la faune et de la flore, une biodiversité exceptionnelle à ne pas déranger.

Vue sur les marais de Jard-sur-Mer ©Destination Vendée Grand Littoral

Difficile d’égaler l’ingénierie des moines, même avec les nouveaux apports technologiques ?

Jean Perrot :  Impossible même ! Imaginez que ce marais a été dessiné par ces moines inventifs où rien n’a été laissé au hasard. Prenez les cordes par exemple : tous ces canaux sont creusés pour que l’eau circule de façon optimale et que les poissons puissent résister au gel, dans des fosses aménagées. On trouve des ponts de pierre immergés pour traverser les cordes, des “chouchinias*” dans notre patois local. La conception des essailles est remarquable, érigées sur la vase, sur une fondation constituée de pierres très dures de “balast”, récupérées sur la côte au temps du trafic de sel et de céréales dans le port de Talmont. La forme très particulière des ouvrages en losange permet aux poissons de s’abriter du courant dans les coins, tout est bien pensé !

Fabrice Mosneron Dupin : La technologie n’a pas encore dépassé l’ingéniosité des moines. Des tentatives ont été faites pour gérer le marais à distance, toutes infructueuses, car l’écosystème est fragile et complexe. Les efforts doivent porter sur le contrôle de la qualité de l’eau et le renforcement des digues.

Alors son avenir est plus que jamais aux mains des humains. Comment voyez-vous demain ?

Jean Perrot : Pour être propriétaire d’un marais, il faut s’emparer des méthodes séculaires : le “faireboire*” au bon moment, en fonction des coefficients des marées et du vent. Dans le mien, en bout de chenal, la vigilance est de mise. Un vent du sud pousse l’océan vers les cordes, on renouvelle. S’il vient de l’est, au contraire, il faut tout verrouiller ! Une attention permanente, récompensée par la contemplation de la beauté au quotidien.

Fabrice Mosneron Dupin : Nous devons faire comprendre au public la richesse mais aussi la fragilité de ces marais et l’entretien quotidien qu’ils requièrent pour en maintenir la biodiversité. Le temps où nous vivions dans ce paradis à l’abri des regards est passé. Vendée Grand Littoral porte d’ailleurs le projet d’une “maison des marais”, tout cela va dans le bon sens.

La pêche à l’anguille fait l’objet d’une interdiction en ce moment, expliquez-nous.

Jean Perrot : L’anguille est le poisson emblématique des marais et c’est un travail permanent pour lui offrir un milieu favorable. Pour nous, cette décision est incompréhensible, d’autant que nous observons encore une population importante.

Fabrice Mosneron Dupin : Nous comprenons les mesures de protection mises en œuvre au niveau européen mais il faut prendre en compte les spécificités de ce territoire. Nos marais constituent un des rares habitats encore préservés grâce à notre intervention et les prélèvements de notre pêche traditionnelle sont minimes. Nous allons lancer cette année une étude pour mesurer l’état des populations des anguilles de nos marais, avec Natura 2000, Vendée Grand Littoral et le LOGRAMI*. Nous partagerons ses résultats pour éclairer les décisions futures. En attendant, nous continuons à nous investir sans relâche pour que ces paysages puissent perdurer longtemps.

* Petit lexique du marais :

  • Bossis : parties en terres du marais, appelées aussi “matte” dans le patois local.
  • Cordes : parties en eau du marais, dans le patois local.
  • Essailles : écluses en pierre caractéristique du marais.
  • Chouchinia : pont de pierre immergé utilisé pour traverser d’un bossis à un autre.
  • Faire boire le marais : renouveler l’eau par le mécanisme des écluses.
  • Loire Grands Migrateurs : Association pour la gestion et la restauration des poissons migrateurs.

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Article créé le 14/11/2024.

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